Biarritz Magazine N°171 de février 2008Le naufrage du « Padosa » |
C'était
dans la nuit naissante du 14 décembre 1907. Il y a tout juste un siècle,
le trois-mâts suédois "*Padosa" venait rompre sa coque sur
les rochers au large de la Grande Plage. Ce soir de tempête a marqué
l'histoire de Biarritz, mais aussi celle de la marine à voile. Président
de l'association de
recherche historique des fonds marins, François
Doyhamboure maintient la mémoire de
ce tragique épisode qui a coûté la vie à quatre marins.
Une mémoire conservée grâce à un travail de recherche de Biarrots passionnés par leur ville et son histoire. François Doyhamboure et Éric Dupré-Moretti, explorateurs des fonds marins de la Côte basque se sont passionnés pour ces mystérieuses épaves sous-marines de navires échoués au large de Biarritz. Dans un ouvrage, "Naufrages de Biarritz et environs, du XVIème au XXème siècle" - qui devrait être réédité - les deux chercheurs biarrots ont retracé la terrible histoire du Padosa. En 1978, ils ont remonté deux ancres des eaux de la Grande Plage, aujourd'hui installées à l'Atalaye et au Port-des-Pêcheurs. Un travail de recherche réalisé avec le Biarritz Aquatique Scaphandrier Club, l'USB et notamment Narkiez Diez, Henri Chevrat, Gérard Foubert, François Bergon et l'adjudant des pompiers Minvielle. L'ancre dressée sur le plateau de l'Atalaye, monument en hommage aux marins suédois John Johansson, Harald Persson, Alferd Wander et Carl Gustaf Eriksson qui reposent au cimetière du Sabaou. Voici cette histoire écrite par les deux plongeurs et historiens locaux. Le "Padosa" était un magnifique bateau de 60 m de long, en coque bois de 860 tonneaux, qui avait été construit à la mode autrichienne à Fiume, sur la mer Adriatique, en 1880. Son port d'attache était Raa en Suède et son propriétaire armateur le capitaine Lars-Erik Nilsson, du même port. Début décembre 1907, le navire, sous commandement du capitaine Milson, embarqua un chargement de billes de bois à Skelleftea en Suède. Il fait ensuite escale à Raa où le capitaine Milson laisse le commandement au capitaine Martin Björk. Le navire prend alors la direction de l'Atlantique afin d'atteindre la côte biscayenne et débarquer ses marchandises à Portugalete, près de Bilbao. Avant le déchargement, alors que le navire était dans le port de Portugalete et amarré, il chavira très fortement sur un banc de sable lors de la marée basse. Déséquilibrée, la cargaison de bois glissa avec violence sur le côté et la coque de bois en fut éprouvée. À la marée suivante, le navire fut solidement amarré et le déchargement des billes de bois put s'effectuer. Bien entendu le navire ne reprit la mer qu'après une inspection de la coque et la délivrance d'un certificat de navigation, mais le doute restait de rigueur quant aux possibles détériorations de la coque. Ce sérieux incident a peut-être compté par la suite, lorsqu'il reprit l'océan. Quoi qu'il en soit, le "Padosa" fut bloqué huit jours durant au port de Portugalete, à cause d'une tempête qui empêchait toute tentative de prendre la mer. Enfin, l'Océan se calma et, le 11 décembre, le "Padosa" quitta le port de Portugalete remorqué par un bateau-pilote. Il put alors mettre les voiles et s'éloigna en direction du port de Setubal, au Portugal, afin de charger une cargaison de sel. Son équipage était de onze personnes et comprenait le capitaine Martin Björk, secondé par un pilote, avec un subrécargue représentant les chargeurs et huit hommes d'équipage. Peu après le départ, le vent commença à souffler de plus en plus fortement pour se transformer en une ces terribles tempêtes d'ouest, vers 19 h. Les marins réduisirent la voilure et le pilote tenta de faire face, mais le navire prenait anormalement l'eau et les pompes de cale ne fonctionnaient pas. Handicapé par la masse d'eau qui remplissait ses cales et en conséquence remontant mal au vent, le navire dérivait vers l'est, dans le golfe de Gascogne. L'accident lors de l'escale de Portugalete avait disjoint les membrures. Cependant, le vent se calma et l'équipage put vider toute l'eau du navire. Toutes voiles dehors, le "Padosa" tenta de sortir du golfe de Gascogne. De terribles brisants Mais au bout de quelques heures d'accalmie, le vent d'ouest reprit des forces et, de nouveau, souffla en une tempête qui se transforma très vite en ouragan. Le "Padosa" recommença à prendre l'eau. Très vite, il fut à moitié rempli d'eau, menaçant de chavirer à tout moment. Le capitaine Björk en conclut que le navire était perdu et que la vie des marins était en danger. Il réunit l'équipage et expliqua calmement la situation. Il ne leur restait plus qu'à sauver leur vie en fuyant sous le vent pour atteindre la terre et tenter d'échouer le navire sans trop de mal. Poussé ainsi par l'ouragan, le "Padosa" dériva vers l'est pendant trois jours, au gré des vents très violents, d'une très forte houle et de vagues déferlantes, la peur au ventre. Dans la soirée du 14 décembre, alors que la nuit était déjà tombée, un feu apparut au loin indiquant la proximité de la côte. Aussitôt à bord furent allumés des feux et l'équipage fit retentir la sirène de détresse. Tout proche de la côte, le "Padosa" se présentait maintenant face à la Grande Plage de Biarritz, quand soudain, vers 19 h, dans la nuit, le navire cogna une roche. C'était la Roche Plate, à environ 600 m de la terre ferme. Aussitôt, le navire fut entouré des bouillonnements des terribles brisants. Sur la rive, les Biarrots avaient allumé de grands feux et dressaient les machines à fusées pour lancer des amarres, mais ces dernières tirées en direction du navire n'atteignirent pas leur objectif à temps. Le septième tir atteignit finalement le navire, mais il était déjà trop tard pour espérer sauver les marins à partir de ce moyen. Les sauveteurs étaient impuissants et n'avaient pas de canot de sauvetage, d'ailleurs vu la force des vagues et des brisants, est-ce que cela aurait été possible ? Alors que le navire se disloquait sous les coups de boutoir de l'Océan, sans en recevoir l'ordre de son capitaine, le subrécargue se jeta à l'eau avec un filin. Il tenta de rejoindre à la nage le rivage, mais très vite il se noya, submergé et englouti par les flots. Le capitaine donna l'ordre de mettre une chaloupe à la mer, avec deux hommes à bord, mais une vague écrasa furieusement le canot contre la coque du navire. Le reste de l'équipage eut de la peine à hisser les deux marins à bord. À son tour le capitaine plongea avec un filin, mais les vagues plus fortes l'épuisèrent aussitôt. Il fut hâlé avec peine par son équipage. Les sauveteurs biarrots Au fur et à mesure que les minutes passaient, le navire se disloquait davantage puis, vers 23 h, il éclata sous les coups des brisants. Les sauveteurs attachés à des filins et accrochés à des bouées s'élancèrent dans les flots furieux pour tenter de sauver les hommes d'équipage qui surnageaient au milieu des épaves flottantes qui étaient projetées par les flots. À la lumière des projecteurs allumés sur les terrasses de l'hôtel du Palais, les sauveteurs et guides baigneurs, sous les ordres du célèbre Joseph Foucquet dit "Carcabueno" s'élancèrent, encordés, dans les flots, avec des cordages et des bouées. Les frères Lafitte tentèrent d'utiliser leur petite chaloupe pour porter assistance. Un à un, huit membres d'équipage – dont l'un malheureusement décéda quelques minutes après sa sortie de l'eau – s'échouèrent sur le rivage. Du côté de la plage Bernain, Jean l'Église, membre du Comité de Sauvetage de Biarritz, maintenu tête en bas par les jambes le long du quai, réussit à sortir de l'eau trois marins. Blessé à l'abdomen, il fut hospitalisé pendant dix jours. De leur côté, des spectateurs tentèrent également de porter secours. Ainsi James Caulfield, commandant en retraite de la marine anglaise, n'hésita pas à se jeter dans les flots. Le capitaine et six marins furent donc repêchés et soignés. Il s'agissait du capitaine Martin Björk, de son second Jungman Gustaf, du stewart D.H. Sonden, du novice Elvin Johansson, A. Olsen, des matelots H. Lindberg et J. Dandersson. Un autre marin fut repêché mais succomba à ses blessures, John Johansson, âgé de 19 ans. Le subrécargue et deux autres matelots avaient disparu dans les flots : Carl Gustaf Eriksson, Wander et Harald Persson. Le lendemain, l'Océan rejeta sur la plage les corps des marins noyés. Les jours suivants la Grande Plage fut couverte des épaves du "Padosa". On apercevait des morceaux entiers de bordées, des tonneaux, des portes, des planches et madriers ainsi que la chaloupe de sauvetage. Le capitaine et ses six hommes survivants furent recueillis et hébergés à la villa San Fernando, puis transférés à l'hôtel du Palais. Après les premiers soins donnés aux naufragés par les médecins Long-Savigny, Glaise, Legrand, Sudaka, Augey et Berne, trois des marins très gravement atteints furent transférés à l'hôpital de Bayonne. Au bout de quatre jours, le capitaine et les trois marins les moins éprouvés partirent pour Bordeaux où ils furent entendus par une commission d'enquête sur cet accident de navigation, afin que soit établi un rapport. Huit jours après le naufrage, rejoints à Bordeaux par un marin remis également de ses émotions et de ses blessures, les cinq naufragés prirent la route de la Suède, direction Malmö, à bord du vapeur "Cellas". Seul Elvin Johansson, grièvement blessé, resta quelque temps encore à l'hôpital. Quant au septième survivant, le Stewart Sonden, il resta à Biarritz où il fut engagé au Palais pour apprendre la cuisine française. Plus tard il regagna sa patrie et retrouva les siens. Les quatre infortunés marins suédois furent enterrés très solennellement au cimetière Sabaou, aux frais de la municipalité et suivis par une foule très nombreuse. Pendant le sauvetage, notamment à cause des épaves projetées violemment par les vagues, des sauveteurs furent blessés plus ou moins grièvement, dont l'agent Romatet et M. Latrie. Le guide baigneur qui s'était distingué le plus brillamment pendant ce sauvetage, "Carcabueno", reçut l'année suivante la médaille du Roi de Suède. Se distinguèrent également les frères André et Georges Lafitte, fils de Joakin Lafitte, conseiller municipal de Biarritz. Jean l'Église reçut un prix de 250 F de l'époque. |